Du 6ème au 11ème siècle
Les
régions étaient attribuées par chartes royales aux monastères. Ceux-ci
furent dans l’obligation d’engager des avoués pour gérer leurs biens et
faire la police de tous côtés. Peu à peu, ces avoués prirent de
l’ascendance sur les moines, tant et si bien que finalement ils
s’établirent seigneurs et construisirent des châteaux. C’est ainsi que
toutes ces fortifications qui couronnent les cimes vosgiennes sont nées
aux 10ème et 11ème siècles : celui de la Roche n’a certes pas fait
exception.
L’Histoire n’a pas conservé de souvenir du château antérieur à 1099 : à cette date, il aurait été occupé par trois princesses dont l’une fêtait ses fiançailles. A la faveur de ces festivités et d’un épais brouillard, des ennemis réussirent à s’approcher sans être vus, à pénétrer dans le château et le détruire. Aucune autre précision sur cet événement, sans doute né de la vengeance ou de la jalousie de seigneurs voisins. Simplement, on peut avancer que la famille des Ribeaupierre faisait partie des assaillants puisqu’elle se retrouve ensuite maîtresse des lieux, jusqu’en 1309 où la seigneurie passe aux Girsberg.
Cette famille, voisine des Ribeaupierre près de Ribeauvillé, ne devait conserver le Ban que peu de temps.
En
1383, le château passe à la branche des Ratsamhausen zum Stein (mot à
mot : de la roche), ainsi désignée pour la distinguer de la branche des
Ratsamhausen zu Ehnweiler dont le château situé près d’Otrott régnait
sur la vallée de l’Ehn avec Ehnheim (Obernai et Niedernai). C’est cette
famille qui donne son nom au Ban. En 1471, le château fut démantelé à la
suite de la défaite de Gérothée de Ratsamhausen contre une colaition de
seigneurs voisins.
Il n’a apparemment pas été occupé ultérieurement.
Mais la seigneurie resta en leur possession jusqu’en 1584, date à
laquelle les tuteurs de Samson de Ratsamhausen, âgé alors de deux ans,
vendirent le Ban de la Roche au comte Georges de Veldence. La famille
des Ratsamhausen s’éteignit en 1720.
Les Veldence s’étaient signalés par une activité débordante très en avance pour l’époque : ils avaient construit Phalsbourg, aménagé des routes et des chemins à travers l’Alsace du Nord, et surent reconnaître que la région du Ban de la Roche recélait des minerais de fer. Sous leur impulsion, c’est une nouvelle vie qui commence : beaucoup de cultivateurs, tout en conservant une petite exploitation agricole pour leurs besoins, se firent mineurs, cantonniers, voituriers ou bûcherons ; l’approvisionnement des mines et des fourneaux en bois procurait des emplois rémunérés et profitait aux habitants.
Malheureusement, la Guerre de Trente Ans devait bientôt tout remettre en question.
Le
passage de toutes les armées, le pillage, l’occupation, la famine, puis
la peste ruinèrent la région. Puis en 1648, lors du Traité de
Wesphalie, l’Alsace devint française (sauf Strasbourg et Mulhouse) et
les seigneurs locaux durent prêter serment de fidélité à Louis XIV sous
peine d’exil. Seul parmi les réfractaires, Léopold-Louis de Veldence
échappa à la sanction, grâce à des attaches particulières entre Louis
XIV et un membre de la famille du Palatinat.
Puis, Léopold-Louis s’endormit en 1694, laissant trois filles dont aucune n’eut de fils et dont la dernière, Dorothée, mourut en 1723.
C’est alors que le seigneur d’Angewiller, Intendant du Royaume en Alsace, prit possession du Ban de la Roche au nom du roi de France. Lui succédèrent sa fille, Dame de Ruffec, puis le gendre de celle-ci en 1762, Boulmy de Voyer d’Argenson, qui érigea le fief en comté.
Mais, pressé par des soucis d’argent, il le céda en 1771 au baron Jean de Dietrich, Stettmeister de Strasbourg. L’industrie prit un nouvel essor : c’est l’époque où Rothau produisait une fonte de si grande qualité que la production ne pouvait suivre la demande, malgré la concurrence proche des mines de Framont appartenant au sieur Champy. Jean de Dietrich vendit tout à ce dernier en 1799. C’est qu’entre-temps, le baron avait vu son fils guillotiné et que la Révolution avait multiplié les difficultés pour l’approvisionnement des forges en bois. Les habitants s’arrogèrent le droit de se servir eux-mêmes dans les forêts pour subvenir à leur chauffage et commirent quelques désordres.
Le
sieur Champy régla finalement le problème en 1813 en cédant aux
communes un tiers des forêts. Lui-même conservait la haute vallée de la
Chirgoutte y compris la Charbonnière, ainsi que la haute vallée de la
Rothaine. Les deux parties furent ensuite séparées à la suite d’un
héritage. La dernière représentante de la famille sur le domaine de la
Charbonnière fut la baronne de Lyon. Désirant exploiter les richesses de
la forêt, elle fit construire une scierie sur la Chirgoutte. Une fois
encore, les difficultés financières apportèrent du changement : la
scierie dut s’arrêter et le domaine fut vendu en 1890 à un marchand de
bois de Kehl.
Ce dernier fit couper toute la forêt, puis vendit le terrain dénudé à l’Etat.
A la fin du 19ème et dans le premier tiers du 20ème siècle, une nouvelle alternative détourne les habitants du Ban de la Roche des activités traditionnelles qu’étaient la culture, l’extraction minière et l’exploitation de la forêt. Nombre d’entre eux émigrent en effet aux Etats-Unis, se retrouvant pour la plupart à Woolstock dans l’Iowa. C’est ce qui explique le jumelage du Ban de la Roche avec Woolstock en 1984.
Le 3 août 1914, l’Allemagne déclare la guerre à la France. Aussitôt, la 1ère armée française reçoit l’ordre de passer à l’offensive et de s’emparer des cols des Vosges et du massif du Donon.
Entre le 4 et le 8 août, les chasseurs alpins conquièrent successivement les cols de Bussang, de la Schlucht, du Bonhomme et de Sainte Marie, balayant l’ennemi. Le 12, ils prennent Saales.
Le 14 au matin, on voit arriver à Bellefosse, sous les arbres de Bas-Lachamp, toute une rangée de canons dont les premiers coups portent vers Plaine. Le même jour, après avoir conquis Saint-Blaise à la baïonnette, les troupes françaises s’emparent d’un drapeau allemand, le premier de la guerre, aussitôt envoyé à Paris au ministère de la guerre. Désormais, les chasseurs alpins descendent de la vallée de la Bruche.
C’est alors que les combats font rage. Les troupes françaises prennent Plaine, Schirmeck et Grendelbruch.
Mais,
dès le 18 à l’aube, toutes les forêts environnant Bellefosse, Belmont
et Waldersbach regorgent de soldats allemands. Aujourd’hui, certains se
souviennent encore à Bellefosse de l’arrivée des soldats français par la
côte de la Boucherie, vêtus de leurs pantalons écarlates.
Les
soldats allemands, quant à eux, sont arrivés du Champ du Feu. Pendant
deux jours, mitrailles et obus crachent, si bien que tout le monde se
cache dans les caves. Il y aura tout de même des victimes civiles : la
mère d’Henri BANZET par exemple qui, touchée par des balles entrées par
la fenêtre alors qu’elle s’apprêtait à descendre à la cave, s’effondra
dans l’escalier.
La bataille dure jusqu’au 20 août.
En
effet, les unités allemandes contre-attaquent partout, obligeant les
Français à battre en retraite. L’ennemi reprend la vallée de la Bruche,
Saales et le col de Sainte-Marie. Après des combats à Wihr-au-Val et à
Soultzbach, le front se stabilise sur la Fecht.
Plus à l’ouest, les batailles de Rambervillers et de la Haute-Meurthe donnent victoire aux Français. L’ennemi recule pour se retrancher.
La guerre des tranchées commence en octobre 1914.
Les premiers Allemands arrivent à Bellefosse le 21 juin 1940 et s’installent au refuge du Ski Club Schiltigheim. D’autres arrivent en side-car et s’installèrent dans les jardins, les prés et les champs. Côté français, une partie du régiment d’infanterie de forteresse (R.I.F) était stationnée à Bellefosse depuis plusieurs jours.
Il y a eu pendant quelques heures une terrible bataille avec, très probablement, des blessés dans les deux camps. Une centaine de prisonniers français ont été emmenés à pied vers Belmont.
Bellefosse / Histoire
Louise Scheppler, une femme engagée
Le
petit village de Bellefosse a autre chose à faire valoir que ses
maisons secondaires pour citadins en quête d'air pur : Louise Scheppler,
petite paysanne du XVIIIe siècle et créatrice des premières écoles
maternelles, sous l'égide du pasteur Oberlin.
Le temple de Bellefosse a été construit à l'emplacement de la première école maternelle. (Photo DNA) | |
Louise Scheppler est née à Bellefosse en 1763. A l'âge de 15 ans, frappée par l'extraordinaire personnalité du pasteur Oberlin, elle rentre à son service pour soulager la misère des paysans. Le Ban de la Roche est alors une enclave isolée entre les populations germanophones de l'Alsace et francophones de Lorraine ; le peuple n'y parle que le patois, obstacle (ou protection) à la communication vers l'extérieur.
Elle devient éducatrice, « conductrice de la tendre jeunesse »
Stuber,
le prédécesseur d'Oberlin, qui avait introduit le tricotage et le
tissage auprès des femmes dans le but d'améliorer leur ordinaire,
suggéra à Oberlin d'organiser des « écoles de tricotage » pour la
formation des enfants, toujours dans le but d'adoucir les conditions de
vie économique. Oberlin en transformera l'esprit, constatant l'état
d'abandon dans lequel vivaient les jeunes enfants, négligés par leurs
parents puisque inutiles aux travaux des champs. Les « poêles à
tricoter » vont naître, poêle signifiait salle commune.
L'important
dénivelé entre le bas et le haut du village amena Oberlin à faire
construire une école en son milieu. Inaugurée le 11 août 1774, elle
marque la création des fondations de « la petite école dans l'école ».
Après sa formation au presbytère de Waldersbach, Louise Scheppler
devient éducatrice, « conductrice de la tendre jeunesse ». Elle se
déplace aux quatre coins du Ban de la Roche afin de pallier aux
défections ou aux manques. Elle contribue au perfectionnement des
méthodes éducatives des poêles à tricoter et assure l'instruction des
jeunes filles aspirant à devenir conductrices.
On attribue à Louise Scheppler
d'avoir créé une « maternelle » en 1779. La pédagogie appliquée dans
les poêles à tricoter est en tout cas la première réalisation pratique
d'une éducation collective de la petite enfance.
Louise Scheppler
n'a jamais eu la notoriété du pasteur Oberlin, mais elle fut distinguée
en 1829 par la remise du Prix de vertu de l'Académie française. Le
discours prononcé à cette occasion lui attribue « l'honneur d'une idée
qui a déjà tant fructifié et qui, bientôt, sera adoptée partout ».
Jusqu'à sa mort, en 1837, elle se consacre entièrement à l'éducation de
la petite enfance.
Le rôle des jeunes filles est très mal accepté Dans
ce siècle, et a fortiori dans un milieu rural montagnard, la situation
de la femme n'est guère enviable. Travaux des champs, travaux ménagers
et accessoirement les enfants. Oberlin crée un véritable choc dans la
société de l'époque en accordant un statut social aux jeunes filles
devenues conductrices, dans une réelle tâche de service public.
Toutefois,
leur rôle est très mal accepté. Le simple gardiennage des enfants en
bas âge aurait été sans doute mieux toléré. Mais les enfants
communiquent dans leurs foyers les valeurs qui leurs sont inculquées, ce
qui est ressenti comme une insupportable ingérence par une société
fortement patriarcale. Pourtant, les jeunes filles poursuivent leur
travail, bénéficiant indirectement de l'isolement du pays qui les
protège d'une intervention des autorités strasbourgeoises. Persévérance,
courage et conduite exemplaire finiront par emporter progressivement le
soutien de voix favorables. L'exemple d'esprit nouveau sera donné par
les villageois de Bellefosse à l'occasion de la construction coopérative
de leur école.
Oberlin a d'autre part montré un double attachement à
sa foi religieuse et aux valeurs républicaines, et fait bénéficier ses
conductrices d'une éducation civique. Une sorte d'équilibre original
entre les valeurs piétistes et l'idéal humaniste républicain. La
« petite école dans l'école » a été le moteur de la transformation
intellectuelle et sociale du Ban de la Roche, et le début de la
reconnaissance des femmes.
Aujourd'hui, sur la façade de la mairie de Bellefosse, une simple plaque de grès rose perpétue le souvenir de la modeste héroïne